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Revue Salariat n° 1

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Pourquoi la revue Salariat ? Nicolas Castel Mathieu Grégoire Jean-Pascal Higelé Maud Simonet Le salariat a longtemps eu mauvaise presse. Au milieu des années 1860, dans un chapitre inédit du Capital, Karl Marx écrit : « Dès que les individus se font face comme des personnes libres, sans salariat pas de production de survaleur, sans production de survaleur pas de production capitaliste, donc pas de capital et pas de capitaliste ! Capital et travail salarié (c’est ainsi que nous appelons le travail du travailleur qui vend sa propre capacité de travail) n’expriment que les deux facteurs d’un seul et même rapport ». Qui dit salariat dit capitalisme et inversement. Marx invite ainsi les travailleurs et les travailleuses réuni·es dans la Première internationale, à substituer au slogan « un salaire équitable pour une journée de travail équitable », le mot d’ordre : « Abolition du salariat ! ». Près d’un siècle et demi plus tard non seulement le salariat n’a pas été aboli, mais il est devenu désirable pour nombre d’individus et d’organisations syndicales. Cela ne fait guère mystère : le salariat observé par Marx et ses contemporains n’est plus celui que nous observons aujourd’hui. En tant que rapport social, le salariat a été un champ de bataille. Il a donné lieu à des stratégies d’émancipation qui se sont parfois – souvent ! – traduites en victoires et en conquêtes. Les institutions du salariat que nous connaissons aujourd’hui sont les buttes témoins de ces batailles passées. La revue Salariat nait d’un questionnement : les sciences sociales ont-elles pris la mesure d’une telle transformation ? Certes, l’idée d’une bascule dans l’appréciation du salariat – de condition honnie à statut désiré – est largement partagée : l’inscription puis le retrait de la revendication « d’abolition du salariat » dans les statuts de la Confédération générale du travail sont souvent mobilisés comme manifestation de ce mouvement historique. Mais on peut se demander si la façon dont les sciences sociales conçoivent le salariat a, parallèlement, évolué en prenant toute la mesure de ses transformations historiques qui, précisément, expliquent ce basculement radical d’appréciation. C’est en partant de l’explicitation de ce paradoxe que nous souhaitons introduire le projet intellectuel de la revue Salariat. Pourquoi questionner le « salariat »Â ? Le salariat du xixe siècle n’est pas le salariat du xxe siècle et ne sera pas, on peut en faire l’hypothèse, celui du xxie siècle. Si au premier abord, il s’agit d’un rapport social consubstantiel au capitalisme, on aurait tort d’arrêter là l’analyse : le salariat s’est transformé en devenant, par certains aspects, plus complexe et, par d’autres, plus simple. Le salariat est d’abord devenu plus complexe car le rapport social salariés/employeurs ne s’exprime plus à la seule échelle de la fabrique ou de l’entreprise, ni à celle d’un face à face entre un ou des travailleurs et un capitaliste. Ce rapport se joue à plusieurs échelles comme par exemple la branche et l’échelon interprofessionnel. Il s’est par ailleurs cristallisé dans des institutions et dans le droit. Mais le salariat est aussi devenu plus simple car dans la première partie du xxe siècle, il est encore possible d’associer le rapport salarial à une classe sociale parmi d’autres, la classe ouvrière, dont les luttes, les représentations syndicales, les institutions et le droit, n’engagent pas nécessairement ou pas directement les autres classes sociales. Les paysans, les employés, les professions intellectuelles par exemple peuvent ainsi encore s’imaginer un futur dans lequel – à l’instar des ouvriers mais à côté d’eux – ils pourront construire un droit spécifique, des protections sociales spécifiques et ce, grâce à des organisations syndicales spécifiques. Près d’un siècle plus tard, le salariat s’est généralisé numériquement et la catégorie de salariat a solidarisé des segments de travailleurs et de travailleuses : au groupe social « ouvrier » sont venus s’ajouter le groupe social « employé » ainsi que les « cadres » dont il faut noter que leur intégration au salariat fut un retournement de l’histoire particulièrement significatif. Qui plus est, ces segments de travailleurs et de travailleuses ont été solidarisés dans un même rapport social qui les oppose à des employeurs de façon plus universelle, plus simple et plus claire que par le passé. Ironie de l’histoire ou diversion, c’est précisément au moment où cette confrontation entre deux classes prend sa forme la plus évidente que la lutte des classes est déclarée obsolète. Il nous semble donc qu’au lieu de prendre toute la mesure de ces profondes transformations sociohistoriques du salariat, l’usage de cette notion par les sciences sociales s’est singulièrement appauvri. Pour Marx et ses contemporains – quelle que soit par ailleurs leur sensibilité –, le salariat est d’abord une notion forgée pour identifier, décrire et expliquer une relation économique, un rapport social très androcentré qui apparaît central dans la société du xixe siècle. Pour le dire dans un vocabulaire anachronique, c’est donc avant tout un concept des sciences sociales qui donne lieu à des controverses, des interrogations. Philosophes, économistes, sociologues s’en saisissent comme d’un outil pour décrire le réel qu’ils ont sous les yeux. Un siècle et demi plus tard, force est de constater que le terme salariat n’est plus questionné. Il est très souvent, pour les sciences sociales, une simple réalité juridico-administrative, une « donnée » ne posant pas question et au mieux une catégorie mais rarement un concept. Chacun ou chacune est ou n’est pas juridiquement « salarié » tandis que, statistiquement, l’Insee comptabilise un nombre de « salariés » et un nombre d’« indépendants » puis mesure l’évolution de leur part respective. Que les sciences sociales prennent en considération le fait d’être ou non juridiquement « salarié », par exemple lorsqu’on étudie la condition des travailleurs et des travailleuses des plateformes, est certes important et utile. Mais, à l’instar de ce que pratiquent paradoxalement de nombreux juristes, c’est à un usage plus réflexif de la notion de salariat – qui ne se réduit pas à une catégorie molle – que nous appelons. Cette approche réductrice du salariat comme « donnée » non interrogée s’explique certainement par un mécanisme assez paradoxal : cette forme juridique, salariale donc, est le fruit d’une histoire qui a vu un concept et des théories s’incarner dans le droit9. En effet, ce concept analytique a infusé le droit jusqu’à structurer une grande part des réalités du travail et de ses « régulations » dans une bonne partie de l’Europe continentale, au Japon, aux États-Unis et ailleurs. Cependant, cette cristallisation dans le droit s’est accompagnée d’une baisse du pouvoir analytique du concept, voire d’une neutralisation scientifique d’un concept qui n’est qu’à de rares exceptions10 interrogé. La cristallisation dans le droit s’est ainsi accompagnée d’une vitrification conceptuelle. Dans quels termes a-t-on arrêté de penser la question salariale ? Dans une définition-essentialisation : le salariat c’est la subordination. Et cette définition-essentialisation est sous-tendue par une théorie implicite : celle de l’échange d’une subordination contre une protection. Ce « compromis » – fordien ou autre –, est devenu un cela va de soi ou un implicite théorique, presque un récit mythique des sciences sociales. Les analyses de Robert Castel dans Les métamorphoses de la question sociale sont à ce titre souvent mobilisées pour opposer diamétralement deux périodes historiques. Dans la première, le salariat de la révolution industrielle serait profondément asymétrique, l’égalité formelle des parties donnant lieu à une inégalité de fait et au paupérisme. Dans la seconde, un droit du travail et des droits sociaux octroyés par l’État seraient venus compenser cette asymétrie initiale et rééquilibrer l’échange salarial11 : subordination contre protection, « compromis fordiste », « Trente glorieuses » et « plein-emploi » comme nouvelle étape d’un rapport salarial enfin rééquilibré. L’état de « compromis » peut alors plus ou moins implicitement être conçu comme un climax, un optimum indépassable. Dans un tel cadre d’analyse, on sera tendantiellement conduit à ne penser que des reculs – l’« effritement de la  société salariale » – et ce, dans la nostalgie d’un passé glorieux mais malheureusement révolu. Droits octroyés et équilibre de l’échange retrouvé : dans une telle perspective théorique, on le voit, l’univers des possibles du salariat est relativement bien borné par cet état d’harmonie sociale et d’intégration de la classe ouvrière que l’on prête à la période d’après-guerre. Or, pleine de conflits, de conquêtes, d’émancipations, la réalité sociohistorique sur plus d’un siècle dépasse les termes de l’échange et du compromis. Penser ainsi non pas en termes de compromis mais en termes de luttes et d’émancipation, évite de présumer des définitions et limites du salariat. La réalité du salariat a changé parce que des batailles relatives au travail et/ou à la citoyenneté économique et politique ont été gagnées. Oui, le salariat est consubstantiel au capitalisme mais il est traversé en permanence, par des formes de subversion de la logique capitaliste. Le rapport salarial, en ses contradictions et ses puissances, est le point nodal de la lutte des classes et, en la matière, la messe n’est pas dite tant au point de vue des structures objectives que des structures subjectives : rien ne permet de conclure que ce rapport social n’est qu’enrôlement au désir-maître capitaliste12. Si le régime de désir est bien celui de désirer selon l’ordre des choses capitalistes (i. e. une épithumè capitaliste13), il n’en demeure pas moins que depuis la théorisation produite par Marx, tout un maillage institutionnel de droits salariaux subversifs du capitalisme a pris forme au coeur du rapport salarial (sécurité sociale, cotisations sociales, conventions collectives, minima salariaux, droit du travail, statuts de la fonction publique et des entreprises publiques, etc.). En matière de salariat, on ne peut donc en rester à la théorie implicite du xixe siècle et son acquis d’une protection contre une subordination. Ce n’est pas une simple donnée juridique incontestable (être ou ne pas être « salarié ») mais un concept qui doit être discuté, débattu, interrogé, mis en question, caractérisé et caractérisé à nouveau, au fil du temps et des luttes sociales qui s’y rattachent. Si domination, exploitation, aliénation, invisibilisation il y a, il s’agit aussi de comprendre ce qui se joue dans le salariat en termes d’émancipation des femmes et des hommes. Certes, le salariat n’est pas qu’émancipation. Et on peut songer à d’autres possibles pour les travailleurs et les travailleuses que ceux qui s’organisent à l’échelle du salariat. Mais cette dimension émancipatrice ne doit pas faire l’objet d’une occultation. Il nous parait donc nécessaire de saisir le salariat dans son épaisseur sociohistorique, dans les contradictions qui le traversent, les luttes qui le définissent et le redéfinissent, pour éclairer la question du travail aussi bien dans sa dimension abstraite que concrète. On l’aura compris, il s’agit donc ici d’interroger le salariat en lui redonnant toute sa force historique, heuristique et polémique. Le salariat, nous l’avons dit, est devenu un rapport social qui s’exprime à de multiples échelles et qui dépassent de beaucoup le simple face à face évoqué dans la deuxième section du Capital dans laquelle un employeur, « l’homme aux écus », se tient devant un salarié ne pouvant s’attendre « qu’à être tanné »14. Chacune de ces échelles constitue un champ de bataille, avec ses contraintes et ses stratégies d’émancipation spécifiques. À chacune de ces échelles, le rapport social salarial s’exprime dans des collectifs, dans des solidarités et des conflictualités articulées les unes aux autres. À l’échelle de l’entreprise se jouent par exemple de nombreuses luttes pour l’emploi. À celui de la branche, par le biais des conventions collectives, se joue notamment le contrôle de la concurrence sur les salaires entre entreprises d’un même secteur. À l’échelon interprofessionnel et national se jouent l’essentiel du droit du travail et des mécanismes de socialisation du salaire propres à la sécurité sociale ou à l’assurance chômage. Le salariat est donc bien loin de la rémunération marchande de la force de travail du xixe siècle. Les champs de bataille se sont démultipliés tout en s’articulant les uns aux autres. Qu’on pense à l’importance des conventions collectives en termes de salaire et de conditions de travail pour articuler les combats dans l’entreprise et dans la branche. Qu’on pense au rôle d’activation ou au contraire d’éradication des logiques d’armée de réserve que peut jouer un mécanisme d’assurance chômage sur le marché du travail. Qu’on pense également aux mécanismes de sécurité sociale en matière de santé et de retraites en France. Ces derniers se sont constitués en salaire socialisé engageant dans une relation l’ensemble des employeurs et l’ensemble des salarié·es à l’échelle interprofessionnelle là où, dans un pays comme les États-Unis, la protection contre ces « risques » est demeurée liée à la politique salariale d’un employeur à travers des benefits par un salaire indirect mais non socialisé15. Qu’on pense également au salaire à la qualification personnelle qui émancipe largement les fonctionnaires des logiques de marché du travail. Comprendre ce que vit individuellement un salarié ou une salariée hic et nunc, suppose de prendre en considération l’ensemble de ces dimensions collectives articulées, les dynamiques historiques, les luttes, les stratégies et la façon dont l’état des rapports de force sur chacun de ces champs de bataille s’est cristallisé dans des institutions. S’il est un objet qui nous rappelle tous les mois que ce rapport social se joue à plusieurs échelles, c’est bien la fiche de paye. Elle est une symbolisation d’un salaire dit « individuel » ou « direct » en même temps que le lieu d’un « salaire collectif » et ce, à plusieurs égards. En effet, quant à sa détermination, le salaire est particulièrement redevable au collectif. Les forfaits salariaux négociés dans les grilles de classification des conventions collectives de branches et au niveau de l’entreprise ou encore les grades et échelons de la fonction publique sont des éléments structurants du salaire. À cet « individuel » s’ajoute une autre dimension collective dont la fiche de paye fait état, c’est la part directement socialisée du salaire à une échelle nationale et interprofessionnelle via des cotisations ou des impôts. Ces échelles et institutions plurielles ne sont pas réductibles à une fonction de protection légitimée par une subordination mais sont beaucoup plus largement le produit des dimensions collectives et conflictuelles du salaire. Et l’on voit là, pour le dire en passant, ce qu’a d’inepte la lecture marchande et purement calculatoire du salaire, économicisme malheureusement dominant. Derrière la plus ou moins grande socialisation des salaires, c’est la question des modes de valorisation du travail qui se pose : à travers la qualification et la cotisation, le salaire n’a plus grand-chose à voir avec la fiction du prix du travail (cf. infra). Enfin, derrière la maîtrise ou non de cette socialisation, c’est aussi la bataille pour la maîtrise du travail concret qui se joue : c’est-à-dire maîtriser ses finalités, maîtriser la définition de ce qui doit être produit ou pas, maîtriser les moyens et les conditions de la production. Voilà tout ce qu’une lecture en termes de conflictualité et d’émancipation, et non seulement de protection/subordination, s’autorise à penser. Pourquoi une revue ? La revue Salariat est la poursuite du projet intellectuel et éditorial que l’Institut Européen du Salariat (IES) porte depuis sa création en 2008. La revue vise donc à accueillir des contributions qui prendront au sérieux les enjeux du salariat de façon ouverte et contradictoire. Il s’agit de promouvoir des analyses du salariat issues des sciences sociales au sens large (sociologie, science politique, histoire, économie, droit...) mais aussi des débats ou des controverses qui ne s’interdisent pas de tirer des conclusions politiques de ces analyses scientifiques16. La revue est ainsi largement ouverte à diverses disciplines et à une pluralité de registres de scientificité. Les travaux empiriques pourront ainsi côtoyer des réflexions théoriques. Des textes fondés sur un registre très descriptif pourront dialoguer avec des approches plus politiques défendant telle ou telle stratégie d’émancipation. Grâce à ce dialogue qu’on espère fécond, nous entendons mettre la production intellectuelle de la recherche au service du débat public et des luttes politiques et sociales qui se déploient dans les domaines du travail concret et de sa valorisation. Notre revue souhaite ainsi faire vivre le débat intellectuel, le dialogue interdisciplinaire et constituer un espace de liberté scientifique en autorisant des approches diverses et non formatées, ce qui suppose en particulier que le débat puisse s’épanouir le plus possible à l’abri – voire même en dehors – des enjeux relatifs au « marché du travail » académique. Si la revue entend publier des articles d’auteurs et d’autrices dont on apprécie les qualités de chercheurs et de chercheuses, elle dénonce avec d’autres17 la fonction d’évaluation et in fine de classement des recherches et des chercheurs et chercheuses que les politiques de l’enseignement supérieur et de la recherche tendent de plus en plus à assigner aux revues. Nous souhaiterions – autant que possible – ne pas constituer un outil de légitimation supplémentaire d’un « marché du travail » académique dans lequel de jeunes chercheurs et chercheuses – de moins en moins jeunes en réalité... – font face à une pénurie extrême de postes et sont soumis à la loi du « publish or perish » ainsi qu’à l’inflation bibliométrique qui, paradoxalement, nuit à la qualité de la production scientifique. Cela signifie en pratique et entre autres, que nous voudrions rester en dehors de cette logique de « classement » des revues et donc ne pas figurer dans les listes officielles des revues dans lesquelles il conviendrait pour les candidats et les candidates à la carrière académique de publier, les critères bibliométriques permettant aux évaluateurs et aux évaluatrices de se passer d’un travail de discussion sur le fond. Cela signifie également que la composition du comité de rédaction de la revue n’est pas dépendante du statut sous lequel les membres exercent leur qualité de chercheur·se : doctorant·e, titulaire ou non titulaire, chercheur·se dans ou hors des institutions de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous nous concevons ainsi comme un groupe ouvert à toutes celles et tous ceux qui souhaitent travailler à un projet intellectuel et proposer aux lecteurs et aux lectrices un contenu de qualité, intéressant à la fois d’un point de vue scientifique et d’un point de vue politique. En ce sens, nous proposons plusieurs rubriques pour apporter divers éclairages ou points d’entrée d’un même questionnement puisque nous avons l’objectif de structurer chaque numéro annuel autour d’une problématique commune. La rubrique Arrêt sur image invite à décrypter les enjeux derrière une image choisie, la rubrique Lectures et débats ouvre à la discussion avec des publications académiques ou littéraires et la rubrique Brut est un espace de mise en valeur de données empiriques diverses. Ces manières d’aborder la problématique générale du numéro sont complétées par des articles dans une rubrique plus généraliste, Notes et analyses. Mais ces rubriques, plus largement présentées sur le site web de la revue18, ne doivent pas constituer des carcans et elles sont elles-mêmes susceptibles d’évoluer. Droit à l’emploi ou droit au salaire ? Ce premier numéro est ainsi l’occasion de tester l’intérêt ou la validité de notre parti-pris analytique consistant à penser le salariat comme un concept de sciences sociales à vocation heuristique en dévoilant ses contradictions et ce faisant, des chemins possibles d’émancipation. La question générale que nous posons dans ce numéro est la suivante : qu’est-il préférable de garantir, un droit à l’emploi ou un droit au salaire ? Pour celles et ceux qui restent indifférent·es à une réflexion de fond sur les institutions salariales, cette question n’a pas lieu d’être car « qui dit emploi dit salaire et qui dit salaire dit emploi, garantir l’un, revient donc à garantir l’autre ». Une telle remarque passerait pourtant à côté d’un enjeu essentiel car il y a là – en première analyse et pour la période qui nous occupe, à savoir fin du xxe siècle et début du xxie siècle – deux voies d’émancipation salariale structurées autour de deux grandes familles de stratégies possibles : celles qui concourent à promouvoir l’emploi et notamment le plein-emploi et celles qui s’en départissent et promeuvent un droit au salaire ou font du droit au salaire un préalable. Ce débat, s’il est contemporain, n’est pas totalement nouveau et deux grandes organisations syndicales, la CGT et la CFDT s’en sont emparé avec leurs projets respectifs de sécurité sociale professionnelle ou de sécurisation des parcours professionnels. Il s’agit bien de projets différents dans lesquels l’emploi et le salaire ne recouvrent pas une même réalité. « Emploi », voire même « plein-emploi » peuvent prendre des sens différents et leur éventuelle garantie ne dit rien de la nécessité du salaire ou de ressources au-delà de l’emploi précisément. La question posée dans le présent numéro est donc loin d’être anodine et c’est pourquoi nous y réfléchissons depuis une dizaine d’années19 et la remettons aujourd’hui sur le métier. Et de ce point de vue, l’expérience du confinement a été particulièrement révélatrice de ce que les différentes formes d’institutions du travail produisent en termes de droits salariaux, comme le met en lumière Jean-Pascal Higelé dans une note – révisée – de l’IES que nous publions ici.

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Revue Salariat n° 2

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Salariat #2 : Dimensions politiques du salaire Ce numéro de Salariat rassemble des contributions donnant à étudier salaire et salariat à la fois comme enjeux et comme terrains de luttes politiques. Enjeux de luttes, en analysant comment la revendication du salaire ou la réorganisation sous le régime du salariat percutent des activités qui en sont habituellement exclues à l’instar des médecins ou des travailleureuses du sexe. Terrains de luttes, en documentant des expériences originales de réorganisation de l’institution salariale, comme l’expérience historique d’une communauté de travail, ou des luttes qui se jouent dans les zones grises de « l’infra-emploi », du statut de parasubordonné·e aux plateformes de services à domicile. Penser les dimensions politiques du salaire c’est réfléchir à la relation dynamique unissant les formes du salaire et les frontières du salariat : quand l’inscription dans la réalité juridique du salariat participe de la reconnaissance sociale du travail ; quand la lutte pour faire reconnaître une rémunération comme du salaire fait entrer dans un régime de droits ; ou encore, quand le débat sur les formes de la rémunération pose la question du pouvoir sur la valeur économique. Ce faisant, ce numéro revient sur la tension intrinsèque qui fonde l’histoire du salaire et du salariat en articulant deux traditions de pensée, l’une partant de l’idée du salaire comme instrument de l’exploitation, l’autre revisitant le salaire comme support de l’émancipation. Introduction « Au sein, au seuil et au-delà du salariat », par Jean-Luc Deshayes, Florence Ihaddadene, Maud Simonet, Daniel Véron, Claire Vivés et Karel Yon Notes et analyses « L’invention du salariat : le mot et l’objet », par François Vatin « Les épouses méritent-elles leur salaire ? La communauté de travail de Boimondau (1944-1946) », par Ana Carolina Coppola et Guillaume Gourgues « Les études, un travail à salarier ? La proposition de loi sur la rémunération étudiante (1951) », par Aurélien Casta « Médecins en centre de santé : salarié·es non-subordonné·es ? », par Lucas Joubert « Quand le salariat syndical déstabilise les militant·es », par Florence Ihaddadene et Karel Yon « “Parasubordination” et recompositions de la société salariale », par Mara Bisignano « Lutte de classe, féminismes et création. Le statut des artistes dans le grand bain des luttes salariales », par Aurélien Catin Arrêt sur image « Travailler au service de la flemme ? La marchandisation du ménage par les plateformes numériques », par Nicole Teke-Laurent Lectures et débats « Comment mener une grève féministe ? Apprendre de la lutte des CUTE », par Al Caudron « Une sociologie du travail salarié et ses frontières », par Jean-Pascal Higelé « Quand le salariat populaire se mobilise... », par Carole Yerochewski Brut « CATS – Comité autonome du travail du sexe », par Maud Simonet et Claire Vivés

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Revue Savoir/Agir n° 48

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Marx et ses héritiers avaient fixé les traits distinctifs d'une approche « classiste » de la société : effort pour appréhender la société de manière globale, rôle primordial accordé aux critères économiques, conception hiérarchique, relationnelle et antagonique des classes. Assimilée et retravaillée, cette approche a nourri la sociologie, en dehors même de la tradition marxiste, et fortement imprégné les discours sur le monde social jusque dans les années 1970. Si, pour de multiples raisons, le concept de classe sociale a ensuite perdu sa centralité, les approches en termes de classes semblent aujourd'hui retrouver droit de cité. C'est à ce « retour des classes sociales » dans le discours sociologique que ce numéro aimerait contribuer en proposant un ensemble de contributions mobilisant ou discutant l'outil « classe » et l'approche « classiste ».

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Revue Savoir/Agir n° 49

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Ce deuxième volet du dossier sur les classes sociales aborde quelques-uns des enjeux conceptuels et politiques d’une approche en terme de « classes ». Postulant qu’en délaissant cette approche la sociologie s’est privée d’un ensemble de questionnements, de notions et de résultats forgés par une longue tradition de recherche, il propose une série de contributions démontrant, à partir de points de vue variés, la fécondité des outils conceptuels « classistes » pour saisir et analyser les dynamiques sociales du présent. Il soulève enfin quelques questions plus immédiatement politiques, en interrogeant la capacité de mobilisation (partisane et syndicale) des « classes populaires », et en reposant, contre les fausses évidences de la stratégie « populiste », la (vieille) question des « alliances de classes ».

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Revue Savoir/Agir n° 50

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Comme stupéfiants, les drogues représentent un chiffre d'affaire mondial de 243 milliards d'euros, S'il s'agissait du PIB d'un pays, il le placerait au 21ème rang économique mondial, juste derrière la Suède. L'objet est d'interroger la manière dont les drogues travaillent l'ordre social et comment celui-ci façonne en retour leurs productions, leurs circulations et leurs usages. Au-delà de considérations pathologisantes, il cherche à analyser la construction des catégories d'entendement du phénomène stupéfiant, dans ses représentations sociales et ses croyances. Il s'agit d'interroger la façon dont les drogues produisent des ordonnancements du monde, dans ses versants économiques bien sûr, mais aussi dans ses versants sociaux. Les approches tant historiques, sociologiques, juridiques qu'économiques et sanitaires seront mises à contribution, en embrassant un champ géographique vaste allant de l'Asie aux Amériques en passant par l'Europe.

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Revue Savoir/Agir n° 51

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La « start-up » n'a rien de neuf. Pourtant, en France comme dans tous les pays où les pouvoirs publics espèrent stimu­ler la croissance par l'innovation technologique et « l'éco­nomie de la connaissance », elle est érigée en modèle d'organisation désirable – et pas seulement pour les entre­prises. Les rhétoriques de la « disruption » et de l'innova­tion « de rupture » justifient ainsi les dépenses injectées dans ces jeunes entreprises promises à un bel avenir. Les idéologues, « évangélistes » de la high-tech et les respon­sables politiques y voient à l'unisson un horizon vertueux, sinon indépassable. Au même moment, les « start-up nations » apparaissent dans le monde, et l'expression d'inoculer dans les consciences une certaine vision néolibérale du travail, de l'économie et de l'action publique (-privée). Le tableau n'est pas complet mais il permet de reconstituer le processus par lequel s'est imposé ce mot d'ordre et d'outiller une critique sociale de ces réalités.

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Revue Savoir/Agir n° 52

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La psychiatrie publique occupe, depuis 2019, le haut des agendas politique et médiatique. Les professionnels dénoncent leur fatigue de la gestion de la pénurie, l'emprise croissante des neurosciences ou, très récemment, l'insuffisance de lits pour faire face aux conséquences psychiatriques du confinement. Ce numéro croise les regards d'acteurs impliqués dans la critique publique de l'étranglement progressif de la psychiatrie publique et ceux de chercheurs en sciences sociales afin de dépasser la paresse intellectuelle qui n'envisage les phénomènes sociaux que dans le cadre étroit de l'actualité. Qu'est-ce qui est réellement inédit dans la situation actuelle et qu'est-ce qui relève de dynamiques de moyen terme ? Qu'est-ce qui ressortit aux transformations des rapports de force internes au champ médical des bouleversements plus larges des catégories dominantes de perception et d'action ? C'est à ces questions que ce dossier se propose de répondre.

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Revue Savoir/Agir n° 53

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La Grande-Bretagne s'impose aujourd'hui comme l'un des mo­dèles de la gouvernance pour l'enseignement supérieur fran­çais, autant du point de vue de la gestion des flux étudiants que des modes de production, de financement et de diffusion de la recherche. Ce point de vue français, lié à l'attrait que les élites politico-administratives éprouvent pour les systèmes fondés sur le New Public Management, ainsi qu'au poids de la langue anglaise dans la globalisation académique, masque pourtant la diversité des pratiques des universitaires et des effets des réformes dans les institutions. Il s'agit d'éclaircir les effets de la transformation des modes de gouvernance sur le fonctionnement des universités et de la recherche. Comment « fait-on de la science » dans les universités britan­niques aujourd'hui, a fortiori dans un contexte néolibéral ? Que signifie « faire des sciences sociales » en Grande-Bretagne ? Quelle est la place des sciences sociales dans l'espace public britannique ?

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Revue Savoir/Agir n° 54

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Avec la crise de la Covid-19, une grande partie des travailleurs indépendants dépendant du marché des biens et services se sont retrouvés sans ressources avec l'arrêt de leur activité. Les droits salariaux assis sur le poste de travail ont pu, pour leur part, jouer leur rôle pour protéger les travailleurs. Mais ils ont aussi montré leurs limites. Durant le confinement, le maintien du lien à l'emploi grâce aux mesures de "chômage partiel" a permis de maintenir les salaires à hauteur de 84 % du salaire net et les droits liés à l'emploi. Les chômeurs ayant acquis des droits dans l'emploi ont vu leurs droits à l'assurance chômage prolongés, dans des conditions d'accès cependant de plus en plus excluantes. En revanche, la sécurité des revenus dans le cadre de l'emploi a été assez peu efficace pour les salariés en emplois précaires. Les intérimaires n'ont pu bénéficier du chômage partiel et ont vu s'effondrer le nombre de leurs missions .

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Revue Savoir/Agir n° 55

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La définition de la situation actuelle – faite de fortes tensions sociales, lois d'exception dans un contexte de danger terroriste et sanitaire, usage d'une force démesurée contre des manifestants ou de simples citoyens avec pour bilan un nombre effroyable de blessés, mutilés et de décès, multiples atteintes aux libertés publiques, décisions sans délibération et négociation, maltraitance de migrants, réfugiés, exilés, adultes comme enfants – mobilise très largement avec des représentations contradictoires qui témoignent à la fois d'une incertitude généralisée et d'une transformation de la délimitation de ce qui est acceptable ou non en démocratie. Autoritarisme libéral, démocratie autoritaire ou démocratie illibérale ? Les labels se multiplient pour qualifier des régimes hier rangés sans hésitation de « dictature » et pour brouiller des frontières : qu'est-ce qu'une démocratie sans libertés publiques ou sans un espace public où sont débattues les questions du « bien vivre ensemble » ?

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Revue Savoir/Agir n° 56

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La crise économique induite par la pandémie de COVID-19 s'annonce déjà d'une ampleur considérable. Les mesures de confinement, inédites dans l'histoire moderne, donnent aux processus en cours un caractère singulier. Pourtant cette crise n'est pas un simple accident mais prolonge une crise structurelle du capitalisme. Celle-ci agit comme un révélateur des pratiques de financiarisation qui ont fragilisé les systèmes de santé et accru la vulnérabilité des populations. La pandémie a ainsi renforcé des processus que la crise de 2008 avait déjà mis en exergue : endettement généralisé, fragilités bancaires, etc. Cette crise peut être vue aussi comme un «Â moment effervescent », un moment de flottement et de contestation des schémas de pensée et des pratiques établies. Les faillites d'entreprises et l'endettement public ont conduit les banques centrales et le Fonds monétaire international à faire des annonces en profond décalage avec la pensée dominante, mais suscité aussi des résistances

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Revue Savoir/Agir n° 57

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La représentation du monde social et/ou de tel ou tel «Â problème social » est un enjeu de luttes perpétuelles entre politiques, journalistes et chercheurs en sciences sociales. De ce fait, l’enquête sous toutes ses formes - argument central d’allure plus ou moins scientifique en faveur de telle ou telle représentation mise en avant - est elle-même un enjeu permanent de luttes symboliques. Ce dossier aborde différentes modalités de la pratique de l’enquête et des problèmes qu’elle soulève : l’enjeu crucial de «Â la construction d’objet » (Louis Pinto, Marie-Pierre Pouly), les usages de la statistique dans la pratique de l’enquête (Frédéric Lebaron), les usages des sondages (Gérard Mauger à propos de Daniel Gaxie), la portée et les limites des «Â études de cas » (Stéphane Beaud), l’enquête sur soi-même (Gérard Mauger à propos de Rose-Marie Lagrave), l’enquête au passé (Christian Topalov), une enquête inédite en français de Norbert Elias (traduction de l’allemand par Antony Burlaud.

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Revue Savoir/Agir n° 58

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Pour la première fois, la revue Savoir/Agir a fait un large appel à articles dans les réseaux de recherche en sciences sociales dans le but de d’éditer ce numéro Varia. Cet appel concernait tout objet de recherche et était destiné à toute chercheuse et tout chercheur en sciences sociales, quel qu’il/elle soit, mais s’inscrivant dans l’esprit de la Charte de Savoir/Agir. Comme nos lecteurs le savent, la revue Savoir/Agir n’est pas une revue comme les autres, dans la mesure où elle est explicitement « scientifico-politique » et « socio-logiquement » engagée. Les chercheuses et chercheurs qui l’animent constituent un intellectuel collectif autonome qui cherche à établir des liens solides et durables entre les sciences sociales, la critique des différentes formes de domination et les forces progressistes. Cet appel inédit aux membres de la communauté scientifique est appelé à se poursuivre pour une édition régulière de numéros Varia, qui s’intercaleront entre les numéros plus classiques

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Revue Savoir/Agir n° 59-60

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« L’université n’est pas une entreprise ! ». Ce slogan a scandé les dernières mobilisations contre les réformes des universités, qui se sont multipliées ces dernières décennies. Pourtant, à y regarder de plus près, force est de constater que l’enseignement supérieur et la recherche se distinguent de moins en moins des entreprises dans ses modes de gouvernance : la collégialité se voit concurrencée par la centralisation du pouvoir dans les mains de gestionnaires, l’autonomie par l’évaluation constante et le financement sur projet, ou encore la solidarité par un morcellement croissant des corps des salarié-e-s et de leurs intérêts respectifs. Ce numéro propose ainsi de revenir sur ces métamorphoses, de leur esprit à celles et ceux qui les appliquent et les vivent au quotidien. Les articles qui le composent peuvent ainsi contribuer à éclairer, par mosaïques, certains éléments de ces transformations universitaires et dégager les dynamiques de leurs appropriations, des accommodements et des résistances qui ne manquent pas d’advenir. En s’interrogeant tout d’abord sur les savoirs qui ont présidé à ces métamorphoses et sur les modalités de leur circulation et de leur application au sein des universités et des organismes de recherche, le numéro entend revenir sur la séquence des réformes des universités de ces dernières décennies. Quand on constate la convergence des réformes et qu’on en dégage un « esprit », quand on parle de « modèles » d’universités qui se diffusent, il reste difficile de saisir empiriquement ce qui circule et de quelle manière. Quentin Fondu, Mélanie Sargeac et Aline Waltzing retracent ainsi l’histoire du programme de gestion des établissements d’enseignement supérieur de l’OCDE (1969-2016), qui contribue à créer de nouveaux savoirs sur et pour la gestion des universités, et à former de nouveaux agents du monde académique, dépositaires à la fois d’une légitimité scientifique et d’un pouvoir administratif. Christophe Charle retrace quant à lui les difficultés réformatrices auxquelles s’est trouvé confronté le pouvoir politique au cours des soixante dernières années en France : il en conclut notamment au morcellement grandissant des corps enseignant et administratif au sein de l’université, marqué en particulier par l’augmentation de la précarité, ce qui rend désormais difficile toute perspective de revendication collective. En prenant pour objet les rapports à l’origine de ces réformes, Joël Laillier et Christian Topalov montrent que les réformes en question, loin d’être inefficaces, ont contribué à une refonte en profondeur des modalités d’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Toutefois, c’est surtout la description chronologique de ces reconfigurations qui leur permet a posteriori d’en dégager leur doctrine commune. Cet « esprit » de la réforme, dont la cohérence ressort après coup, doit également être appréhendé au travers de ses relais nationaux et locaux, qui permettent son application à ces différentes échelles. Pour suivre cette « chaîne d’actions réformatrices », Etienne Bordes prend pour objet la Conférence des présidents d’université et ses métamorphoses. Au départ marqué par une forme d’autonomie et de collégialité, elle fonctionne depuis quelques décennies davantage comme une courroie de transmission de plus en plus directe entre ministère de l’ESR et établissements. À une autre échelle, Mathieu Uhel montre le rôle charnière de l’encadrement intermédiaire dans la transformation de l’université de Caen : fort d’un pouvoir grandissant et de formations de plus en plus spécifiques – souvent assurées par des organismes privés –, ils échappent aux règles de collégialité qui prévalaient antérieurement au sein de cet univers pour appliquer un management plus vertical et descendant. Audrey Harroche s’intéresse également aux personnes qui se font les relais, plus ou moins volontaires, des politiques d’excellence dans les établissements labellisés « Idex »Â : elle observe que, dans un contexte de manque de moyens structurels, les perdants du jeu de l’excellence ne s’y opposent pas, dans l’espoir d’y gagner un jour. Si ces transformations ont en premier lieu des conséquences sur les conditions de travail des personnels de l’ESR et sur les étudiant-e-s, elles déterminent également des métamorphoses plus profondes, des modalités de financement et des représentations sur le monde universitaire. Revenant sur la fusion des différentes universités à Strasbourg en 2008 et sur le poids grandissant des appels à projets dans le financement de la recherche, Jay Rowell revient sur la marginalisation des sciences humaines et sociales (SHS) qui en a découlé, insuffisamment dotées et adaptées à ces nouvelles formes de mise en concurrence des personnes et des disciplines. Rogue ESR et Camille Noûs, enfin, nous enjoignent à la résistance collective, face à la passivité voire au cynisme : on ne tire jamais aucune épingle de ce jeu-là et, plus encore, on se retrouve parfois, bien malgré nous, les relais de ces réformes et de leur esprit. D’où la nécessité d’y réfléchir ensemble et de lutter de concert.

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Revue Savoir/Agir n° 63

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Dossier « Sociologie et Politique » Savoir/Agir, n°63, printemps 2023 (Gérard Mauger, coord.) Parce qu’elle cherche à représenter et à rendre compte du monde social ou de tel ou tel de ses aspects, la sociologie est inévitablement prise dans les luttes symboliques (scientifiques, politiques, médiatiques) qui ont pour enjeu la vision légitime du monde social. C’est pourquoi l’engagement sociologique n’est au fond qu’une façon de tirer les conséquences d’un état de fait. Mais cette forme d’engagement porte elle-même à conséquences. Outre qu’elle implique la défense de l’autonomie de la recherche contre les tentatives récurrentes d’arraisonnement politique, elle impose un devoir de réflexivité qui a pour corollaire un devoir de scientificité. Le souci de préserver la spécificité de l’engagement sociologique impose, en effet, de ne pas réduire la tâche du sociologue à celle d’un militant comme un autre. Il ne s’agit pas seulement, en effet, de positions à prendre ou d’indignation à faire entendre, mais de choses à savoir et à comprendre. C’est pourquoi l’engagement sociologique, loin d’affranchir des contraintes et des compétences exigées des chercheurs, implique la défense des valeurs de vérité et de désintéressement qui sont celles de la science. Avec des contributions de Stéphane Beaud, Vincent Dubois, Michel Koebel, Frédéric Lebaron, Brice Le Gall, Kil-ho Lee, Gérard Mauger, Louis Pinto, Marie-Pierre Pouly, Arnaud Saint-Martin, etc.

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Revue Savoir/Agir n° 64

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Dossier de la revue Savoir/Agir n°64 – Printemps 2024 Les Jeux olympiques et paralympiques font l’objet d’une contestation de plus en plus affirmée et organisée. Ils constituent un méga-événement sportif planétaire dont la visibilité médiatique attire encore métropoles et pays correspondants (mais pour combien de temps ?), malgré les dépenses somptuaires qu’ils occasionnent, et les dépassements budgétaires parfois énormes qu’ils provoquent. Ils constituent ainsi des enjeux financiers mais surtout symboliques dans lesquels la place des citoyens reste minime, loin des discours qui leur promettent une participation active et des retombées mirobolantes. À l’occasion de l’accueil des Jeux à Paris en 2024, ce dossier explore les enjeux en termes financiers, politiques, médiatiques et d’aménagement de cet événement et compte lever les voiles qui le rendent opaque vers l’intérieur et brillant vers l’extérieur.

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Revue Zilsel n° 10

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Astronomie populaire au 19e siècle, expertise techno-bureaucratique sur les polluants de l’air, enseignement de l’économie en Suisse, place et fonction de la métaphore scientifique, genèse et réception de la collapsologie : le sommaire assume, comme à chaque fois, un éclectisme de bon aloi en même temps qu’une exigence de rendre raison de développements scientifique dans la société. Dans le même esprit, un dossier est construit sur la base d’une importance conférence – traduite et éditée – du sociologue Anselm Strauss donnée en Suisse en 1975. C’est un bon prétexte pour expliciter les lignes de force d’une approche de l’enquête en sciences sociales qui a particulièrement essaimé en études sociales des sciences. Zilsel est également ravi d’intégrer un entretien au long cours avec l’historienne des sciences Ilana Löwy, dont les apports nombreux sont situés au gré des étapes d’une carrière marquée par des recherches pionnières et des influences durables.

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Revue Zilsel n° 11

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Des études approfondies du commerce des aviations de chasse, les expéditions d’observation des passages de la planète Vénus au 18e siècle, ou la formation du jeune Bourdieu. Un dossier, coordonné par Jérôme Lamy et Sébastien Plutniak, fait le point sur les relations entre la science et l’anarchie. En même temps qu’il fait le point sur l’état des connaissances, il met l’accent sur des figures de cet alliage, par exemple Paul Feyerabend ou André « Dédé-la-science » Langaney. La rédaction poursuit également son travail d’exploration des archives en dépoussiérant un texte du philosophe belge Léo Apostel, particulièrement dense et publié en 1977. Un autre texte important de Jacques Bouveresse paru en 1985 interroge les fondements de l’intelligence artificielle. Un entretien avec l’historien Christophe Charle, au titre volontiers provocateur (« Les débats épistémologiques en histoire, c’est toujours un peu du théâtre »), met en lumière les séquences et progrès d’une longue et fructueuse carrière. Des notes critiques complètent le sommaire, qu’introduit un éditorial invité d’Arnaud Fossier sur les conditions de production de la vérité en histoire, dans un contexte de mise en question du métier d’historien par quantité de faussaires qui prétendent dire le vrai sur le passé. 

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Revue Zilsel n° 12

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Des expéditions d’observation des passages de Vénus au 18e siècle à la sociologie de la connaissance de Mannheim, jusqu’à la commercialisation de la recherche canadienne. Un dossier est consacré à la somme d’Alain Testart, Principes de sociologie. C’est l’occasion d’en attester la fécondité et l’importance pour la discipline. La réédition d’un article méthodologique de l’historienne et philosophe des sciences Hélène Metzger paru en 1933 permettra de réinvestir une question qui inquiète quiconque s’affronte au matériau historique : « l’historien des sciences doit-il se faire le contemporain des savants dont il parle ? » Un entretien avec l’historien et philosophe des techniques Hélène Vérin apportera de nouvelles pièces à la compréhension collective de l’histoire de ces spécialités. Enfin, après une étude exploratoire de la construction politique de la « super fusée » de la NASA censée véhiculer le retour sur la Lune, des recensions critiques feront vivre l’épreuve de la disputatio.

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Revue Zilsel n° 9

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Cette nouvelle livraison de Zilsel propose une variété de recherches portant sur les sciences et les technique. Elle comprend un dossier sur les « savoirs pratiques », non directement classées dans la rubrique de la science la plus pure, mais pas moins intéressants en ce qu’ils construisent autant de prises sur le monde (pédagogie antiautoritaire, boxe, pratique abortive militante, fab lab, gantiers-parfumeurs, etc.). Le sommaire compte également une correspondance inédite entre Norbert Elias et Pierre Bourdieu, qui permettra de découvrir la progressive construction d’une relation scientifique et amicale entre deux géants des sciences sociales. Un entretien avec le mathématicien et économiste E. Roy Weintraub permet d’approcher les coulisses de l’histoire de la pensée économique et ses rapports avec les études sociales des sciences et techniques. Une série d’études critiques clôt ce numéro 9, alternant entre l’exercice de la restitution et la disputatio.

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Riposter à un crime d'État

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Le 17 octobre 1961, alors que les pourparlers qui devaient déboucher sur les Accords d’Évian étaient engagés, la manifestation organisée par la fédération de France du FLN à Paris et en région parisienne, pour desserrer l’étau du « couvre-feu ethnique » qui était imposé aux « Français musulmans algériens », est violemment réprimée par la police placée sous les ordres du préfet Papon. Des centaines de morts ont endeuillé ce qui a constitué, selon des historiens britanniques, « la répression la plus meurtrière d’une foule désarmée dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale ». Il faudra de longues semaines pour que, le 18 novembre puis le 12 décembre, la gauche se rassemble enfin dans la rue derrière les mêmes mots d’ordre. Après l’indépendance algérienne, un travail de mémoire se fera pour briser l’omerta sur la répression du 17 octobre 1961. Mais paradoxalement, il passera sous silence le rôle du PSU pour riposter à ce crime d’État et le dénoncer.

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