Pierre Bourdieu en Algérie (1956-1961)
de Tassadit
Editeur : EDITIONS DU CROQUANT
Date de parution : 6-/-0/2022
9782365123518
Disponible - 15.00 €
Résumé
Ce livre n’a pas pour objet de donner une vision exhaustive de la période algérienne de Pierre Bourdieu : celle qui va de 1956, date de son arrivée dans le Cheliff, région inhospitalière chaleur torride en été et froid glacial, en hiver, à 1961, date de son départ précipité d’Alger, devenue la proie du terrorisme urbain . Il vise cependant à éclairer le lecteur, fût-ce partiellement, à partir de témoignages oraux, véritables archives vivantes, émanant de collègues et d’étudiants qui l’ont côtoyé et partagé avec lui moult angoisses, espoirs et désespoirs dans un climat de tensions politiques dans un conflit de guerre ayant gagne tant le monde rural que dans le monde urbain, à l’instar de la bataille d’Alger, en 1957. Avant de poursuivre, un aperçu historique de l’histoire de l’Algérie peut aider à mieux comprendre cette période. Colonisée en 1830, l’Algérie, va connaître de changement réel que sous la IVe et la Ve République. Liée à la France, elle subira les soubresauts de la politique de la Métropole en sus de ses propres affaires. L’Algérie, c’est assurément la France, mais la France n’est pas l’Algérie dans la mesure où une minorité (les colons) faisait sa propre loi en défiant la Métropole. Jean Amrouche « aimait à dire, pendant la guerre, que Paris capitule souvent devant Alger ». C’est l’année 1945 qui va constituer un tournant déterminant ayant marqué le XXe siècle. Libérée de l’Allemagne, la France va devoir régler la question des colonies : l’Indochine, le Maroc, la Tunisie, Madagascar. Les élites et les soldats indigènes ayant combattu le nazisme au retour du front réclament le droit à l’émancipation de leurs peuples. C’est dans ce contexte que des manifestations pacifiques à Sétif, Guelma et Kherrata (8 mai 1945) ont fini dans un bain de sang faisant plusieurs milliers de morts en quelques jours seulement. Le vent de la décolonisation avait donc commencé à souffler. En France, le général de Gaulle et ses compagnons avaient pris le pouvoir. Il fallait d’abord rétablir l’économie française et gérer les questions internationales en accordant une place moindre aux affaires indigènes, ce qui va se traduire par une conscience généralisée au sein du peuple mais surtout chez les élites « musulmanes ». Des écrivains, à l’instar de Jean Amrouche, Kateb Yacine, Mohammed Dib, Mouloud Mammeri et d’autres encore pour lesquels cette date fut une véritable rupture avec le système colonial. Déjà avec l’échec du projet Blum Viollette en 1936, les Algériens avaient compris que les promesses d’égalité n’étaient plus à l’ordre du jour. À côté du Parti du peuple algérien (PPA), parti indépendantiste de Messali Hadj, d’autres se radicalisèrent (comme celui de Ferhat Abbas, par exemple) et tous sur les mêmes positions : l’indépendance de l’Algérie. Des figures importantes de la résistance comme : Jacques Soustelle, Robert Lacoste, Germaine Tillion, Vincent Montheil, etc. sont appelés en Algérie. Parmi eux de nombreux gaullistes, il y avait diverses appartenances politiques de droite comme de gauche, tous favorables à l’Algérie française, y compris de grandes personnalités politiques qui pensaient qu’il ne fallait pas amputer « l’empire » d’une de ses plus belles colonies, comme Soustelle. Un autre événement est également déterminant dans l’histoire des colonies françaises : Diên Biên Phu qui fut une brèche dans le système colonial. Cette défaite cuisante de la France au Vietnam n’est pas sans conséquences sur l’Algérie puisque tous les militaires seront rapatriés vers la colonie où ils prendront leur revanche sur les Algériens. Du côté algérien, cette même date marque la déclaration de la guerre à la France, ce fut le 1er novembre 1954. Le front de libération nationale entre officiellement en guerre. Des officiers de l’armée française, nombreux à être humiliés par cette atroce défaite se retrouvent à Alger mais aussi des intellectuels. En cette période, une figure importante se détache : Mendès France, un des politiques français les plus éclairés – président du Conseil (libéral), il a travaillé à l’indépendance de la Tunisie et du Maroc (1956) mais il a été empêché d’en faire autant pour l’Algérie si ce n’est de nommer un résident général, Jacques Soustelle, dont il attendait une gestion réformiste et une politique un tant soit peu égalitariste face aux gros colons, comme Henri Borgeaud . Ces derniers avaient fait main basse sur le pays qu’ils considéraient comme leur propriété personnelle. Grands propriétaires, ils avaient aussi la mainmise sur la chambre de commerce, la presse et la politique en Algérie et, parallèlement, ils faisaient la pluie et le beau temps dans les cercles politiques à Paris. Mendès France essuya un revers, car Jacques Soustelle – homme de gauche – ne tarda pas à devenir un défenseur acharné de Algérie française et finira à l’extrême droite. La vision de Mendès France aura une influence sur les libéraux en Algérie qui iront en vain à la recherche d’une troisième voie. En dehors de De Gaulle, qui est le président français le plus connu de la période et qui « donnera » l’indépendance aux Algériens, il y a eu également Guy Mollet, président du Conseil, socialiste), en 1956, boycotté par les Pieds-noirs (population européenne très minoritaire), qui fera voter les pouvoirs spéciaux, ces derniers autorisent la police à recourir à la torture pour extorquer l’information. Les pouvoirs spéciaux furent majoritairement votés, y compris par les partis de gauche, communistes inclus. Après plusieurs jours de voyage en bateau, le débarquement pour ce jeune métropolitain n’a pas été des plus accueillants. Il arrive à Lavarande, un petit bourg (actuellement Sidi Lakhdar) où l’ennui le dispute au désespoir et à la solitude. Déjà en ce mois d’avril 1956, il y fait une chaleur torride. Les serpents et scorpions font la loi dehors comme dedans, le tout dans une tension permanente. C’est d’ailleurs ce que le jeune appelé relate à son ami Lucien Bianco dans cette première correspondance du 26 avril : « (...) avec moustiques et scorpions et serpents. L’ennui, la solitude plus que jamais et le sentiment de n’être pour rien et pour personne. Une indifférence à tout. Des habitudes et des fonctions vitales. Lassitude. » Ce passage par Lavarande est décisif pour comprendre pourquoi l’affectation qui viendra plus tard, grâce au colonel Ducourneau, à Alger peut être vécue comme une véritable bouée de sauvetage. De l’extérieur, le jeune appelé désespéré avait tout à y gagner, il est en ville (en 1956, on y est plus à l’abri que dans les campagnes), il est au coeur du dispositif politico-administratif puisqu’il est chargé de rédiger, d’informer, de documenter les services du Résident général et loin des sorties pour combattre dans le bled. Même sur fond de guerre, il a la possibilité d’échanger, de lire, de connaître la ville : Alger, ses rues, ses mosquées, ses restaurants et gargotes, mais aussi ses habitants, sa lumière, ses couleurs et ses odeurs si différentes d’un quartier à l’autre. Il découvre également un monde scindé en deux : les Européens et les indigènes. Il fait la connaissance in situ du racisme. Un racisme ouvert, assumé, partout présent, dans l’espace, dans les rues de la ville d’Alger, dans les trains, les bus, les cafés. Il y a toujours deux catégories : la dominante et la dominée. Les « musulmans » étaient interdits de circuler dans les rues du quartier européen, comme la rue Michelet. Malgré les apparences, cette affectation a également ses revers, elle n’est pas qu’avantages, elle permet au système d’engager les individus, à leur insu, dans des processus où il est impossible de reculer, de disposer de leur destin. Ils sont en quelque sorte obligés extérieurement, du moins, de faire corps avec la machine administrative. En situation de guerre, les appelés surtout les soldats de deuxième classe, sont purement et simplement instrumentalisés. Le gouvernement général, en dehors des tâches politico-administratives, avait d’autres privilèges, il disposait d’une des meilleures bibliothèques (sur le monde nord-africain et monde musulman) et c’était aussi un lieu de passage obligé d’intellectuels parmi les plus brillants sur l’Algérie, le monde musulman, ce qui a pu servir de lieu d’initiation à la recherche et, sans doute, permettre une intégration plus aisée à l’université d’Alger. Bourdieu y exercera les fonctions d’assistant et pour faire de la recherche à l’ARDESS (à préciser, y compris la note) . Il est bien évident que l’on ne peut pas saisir les entretiens qui suivent sans avoir une idée plus ou moins précise du contexte historique et politique auquel ils se rapportent. Près de vingt ans après le décès de Pierre Bourdieu, je me demande encore aujourd’hui les raisons pour lesquelles j’ai voulu comprendre les conditions dans lesquelles il a effectué ses recherches en Algérie, s’il n’y avait pas un manque drastique d’informations autour de ce moment si singulier. Mes interrogations étaient largement partagées avec ceux qui l’ont connu par la suite et qui portent un grand intérêt pour cette période peu médiatisée. Il faut rappeler toutefois que, comme dans toutes les guerres, les acteurs directs ou indirects préfèrent évacuer les événements douloureux dont ils furent témoins. Un laps de temps est nécessaire pour que la transmission devienne nécessité. En général, le retour s’opère après une génération ou deux pour qu’il y ait une quête du passé, y compris dans les familles C’est là le but du livre de Raphaelle Branche (quel livre ?, références à mettre en note) qui comble un énorme trou de l’histoire française en Algérie. On peut dès lors comprendre l’objet de ma quête lorsque j’ai entrepris d’enregistrer les témoins de cette période, certains ont disparu depuis : Mazaud (de quel Mazaud s’agit-il ?), André Nouschi, Alain Sprecher, le jésuite Henri Sanson etc... d’autres sont encore en vie. C’est une source de première main recueillie auprès de ceux qui ont collaboré directement avec Pierre Bourdieu qui va permettre d’ouvrir une petite lucarne dans le mur du silence imposé par la guerre. Après leur publication en 2003 , de nombreuses demandes ont surgi, car les sociologues, ethnologues n’ont pas forcément à l’esprit le déroulement des événements politiques et des personnages clés qui les ont produits. Comment imaginer le rôle de François Mitterrand par exemple alors Garde des sceaux ? Cet homme de gauche à qui l’histoire doit la politique la plus réfractaire à toute ouverture. Ce grand résistant manipulait, depuis Paris, les services de sécurité en Algérie sans passer par les gouverneurs généraux en place. Il en a été ainsi avec Roger Léonard , en poste de 1951 à 1955, pourtant favorable à une amélioration des conditions des colonisés, écoles, soins, logement, etc. qui quittera l’Algérie sans avoir pu apporter la moindre réforme parce que le Garde des sceaux lui mettait des bâtons dans les roues. On doit également à François Mitterrand le refus de gracier plusieurs condamnés à mort, Algériens et Français, dont Fernand Yveton (cf. le documentaire de Benjamin Stora, Mitterrand et l’Algérie) et un silence de marbre sur les disparus, à l’instar de Maurice Audin. Devant la difficulté de faire un résumé d’une histoire complexe, je préfère partir de personnages clés qui ont joué un rôle déterminant dans cette guerre pouvant rendre explicites les conditions très compliquées dans lesquelles s’est déroulé le passage de Pierre Bourdieu à Alger. Je fournirai un complément d’information en note de bas de page. Robert Lacoste, par exemple, est ici important car il a joué un rôle déterminant dans la guerre d’Algérie. Résistant et socialiste, il mènera une politique des plus répressives en Algérie, notamment au moment de la Bataille d’Alger (de janvier à octobre 1957). C’est sous ses ordres que Pierre Bourdieu effectuera plus d’un an et demi de service militaire au gouvernement général. Ce soldat de deuxième classe devra assurer toutes les tâches liées à l’écriture et à l’information. C’est seulement en 1958 que s’ouvre pour le jeune Bourdieu une carrière d’universitaire et d’enquêteur sur le tas dans des zones interdites (Kabylie, Ouarsenis) et dans les centres urbains. Il tente de comprendre les effets de la colonisation et de la guerre sur la désagrégation de la société algérienne. Ces témoignages recueillis au lendemain de son décès, publiés dans la revue Awal, portent donc la marque de leur temps. Si Lucien Bianco, ami de longue date revient sur la vie à l’ENS, à Paris, André Nouschi, Alain Sprecher, le père Sanson décrivent quant à eux les conditions sociales et politiques de la situation algérienne déjà empêtrée dans une guerre sans nom et permettent de comprendre, du coup, comment le jeune Bourdieu est littéralement immergé dans un monde complètement étranger et dans lequel il doit, en outre, faire son initiation à la recherche. Alain Accardo, Jacques Budin et Salah Bouhedja devenus apprentis enquêteurs, par la force des choses, éclairent le lecteur sur les conditions dans lesquelles Bourdieu a conduit l’enquête sur les camps de regroupement dans la région de Collo. Chacun des regards portés sur ces années est important car il permet de saisir de l’intérieur ce qu’a représenté cette période pour tous . Ces paroles m’ont été livrées par des témoins qui ont connu la peur, l’espoir et les désespoirs suscitées par la guerre et la charge émotionnelle dont elle est chargée. D’ailleurs, elles constituent de véritables archives vivantes qui se lisent comme des nouvelles. Différentes certes par le statut et l’histoire de chacun des auteurs mais toutes renvoient à une même problématique : rendre compte de la résistance de chacun à la guerre mais aussi de la recherche en situation de guerre. Rééditer ces entretiens vingt ans après, c’est donc fournir des clés de compréhension qui éclairent le parcours d’un jeune appelé dans une situation de guerre, qui a tenté, malgré tout, de rendre explicites, pour la postérité, les conditions dans laquelle la société algérienne a été désagrégée et comment un changement « pathologique » a été programmé pour la transformer durablement. La lecture de ces paroles sincères et émouvantes conduit le lecteur mieux saisir la complexité d’une situation dramatique à l’origine d’une pensée fondatrice d’une nouvelle conception de la recherche.
Fiche technique :
Editeur
EDITIONS DU CROQUANT
Contribeurs
Yacine
EAN
9782365123518
Date de parution
6-/-0/2022
Nombre de pages
250 pages
Poids
0.277 Kg
Hauteur
22 cm
Largeur
14 cm