Marcher loin sous les nuages
de Cécile
Editeur : APIC EDITIONS
Date de parution : 3-/-0/2018
9789931468486
Réimpression - 12.00 €
Résumé
SEPT QUESTIONS A CECILE OUMHANI 1/ Une autobiographie en quelques mots. Différentes langues résonnaient dans les paysages de mon enfance. Je n’avais pas accès à certains d’entre eux, parce que je ne les avais jamais vus et je ne les connaissais qu’à travers ce que les mots pouvaient m’en dire. L’éloignement a toujours été une composante de ma vie, avec des interrogations sur l’absence et sur l’espace. Les lettres échangées en anglais et en français ont occupé une place essentielle. Elles étaient le seul lien entre des êtres qui souffraient d’être séparés, de ne plus pouvoir partager le quotidien. Les feuillets surchargés de phrases étaient comme le condensé de ces jours qu’ils ne passaient plus ensemble, puisqu’ils vivaient sur des continents différents. Ce sont ces feuillets qu’on lisait à la maison qui m’ont permis d’accéder à la page, en tant que lieu à part entière. Ils m’ont fait découvrir les failles et les interstices qui s’inscrivent entre les mots, en même temps que je devinais aussi leur capacité à ouvrir des chemins. Les livres, qu’ils soient écrits dans l’une ou l’autre langue, ont eu également un rôle capital. Je les lisais indifféremment en anglais et en français, passant de l’imaginaire d’une langue à un autre, au gré d’un livre ou d’un moment. Lettres et livres ont donc fait que les mots ont toujours été investis d’une place particulière. Anglais et français, voyages d’un côté et de l’autre, m’ont permis de développer tout naturellement des liens privilégiés avec la Tunisie, à partir de 1970, ajoutant une dimension supplémentaire aux facettes de l’éloignement, avec la musique d’encore une langue et ce qu’elle peut me dire des lieux et des êtres qui l’habitent. Poèmes et romans surgissent au fil de ce qui m’appelle, un peu comme s’il s’agissait d’une respiration aux modalités particulières. Mais qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre, ma relation aux mots reste fondamentalement liée à la poésie. 2/ Comment répondre à une injonction brusque : « Définissez la poésie ». Comment définir ce qui se joue aux confins de l’indéfini, ce qui cherche à en cerner les contours, faute de pouvoir l’atteindre ? Nous recevons les mots en héritage et nous voyageons avec eux. Ou devrais-je dire qu’ils voyagent en nous ? Nous n’en finissons pas de cheminer avec cet insu des mots, portés et pétris par tant d’êtres humains avant nous. Ce qui voyage ainsi dans l’intimité de notre for intérieur se perd dans la nuit des temps et nous traverse. Nous interrogeons les mots. Et ils nous interrogent. La poésie se trouve peut-être dans ce lieu mystérieux de nous-mêmes avant de venir se réfracter dans les traces que notre main inscrit sur la page. 3/ Comment vous situer dans l’écriture ? Il m’est difficile de répondre à cette question. Tout au plus puis-je essayer d’esquisser ce que je recherche. L’épaisseur de la nuit dont les mots sont porteurs me fascine autant que l’acuité que peut prendre le quotidien, ou plutôt l’acuité avec laquelle il est parfois donné d’en percevoir certains moments. J’irai jusqu’à parler d’une acuité des mots à laquelle on tente d’être réceptif. Un peu comme lorsqu’on fouille le grain d’une pierre ou le tissage d’une étoffe et que soudain s’entrouvre une échancrure, se dresse un relief. On est arrêté par ce qui se découvre et qu’on entraperçoit. Oui, je crois que ce que j’essaie d’écrire est étroitement lié à une attention au silence des mots, à une recherche dans ce qu’ils ont de souterrain mais aussi de lumineux. 4/ De la forme (et du formel) en temps de crise. Des poètes contemporains comme Marilyn Hacker montrent brillamment comment des formes et des rythmes anciens peuvent se renouveler. Je pense à son poème Pantoum en temps de guerre ou encore à Rengas de Syrie. Son souci d’user d’une forme ancienne pour dire le monde d’aujourd’hui est au cœur de sa recherche de poète, me semble-t-il. Ce que la contrainte d’une forme enferme et restreint permet en réalité d’approcher ce que nous n’approcherions sans doute pas autrement. Comme l’échappée au terme d’un chemin d’ascèse... Le poète peut décider d’avoir recours à des formes préexistantes qu’il connaît à travers les lectures, dont il s’est nourri et continue de se nourrir. Mais il en existe d’autres dont lui ou le poème décide à un moment donné. Le poète obéit alors à la nécessité d’un poème à venir, à ce qui commence de cheminer, de s’imposer à lui. Il écoute ce qui murmure et se fraye, attentif à ce qui est déjà et qui se cherche jusqu’au bout de sa main. Il me semble qu’écrire un poème est indissociable d’une forme, que celle-ci soit choisie délibérément parmi celles qui existent déjà ou qu’elle apparaisse dans le processus d’écriture. Mais même lorsqu’il pense créer une forme, je crois que le poète reste habité par ce qu’il a lu, l’expérience qu’il a de la poésie passée et contemporaine. Il puise, parfois sans s’en rendre compte, dans les rythmes et les formes qu’il continue d’entendre en lui et qui respirent en lui longtemps après qu’il les a écoutés pour la première fois. René Char parlait de la traversée des « hautes cages où dorment les échos »... Le propre de la poésie n’est-il pas cette recherche poussée aux limites du connu qui nous a précédés pour tenter d’approcher l’inconnu de nous-mêmes et du monde ? 5/ Quel avenir pour la poésie ? La poésie est malheureusement trop souvent repoussée aux marges de sociétés où l’on cherche à flatter le sensationnel, la facilité, parce que tout cela se vend bien. On relègue la poésie à des cercles de connaisseurs, d’amateurs, qui seraient décalés par rapport à la réalité du monde que nous habitons et à ce que serait la vraie vie. Et moi, je garde à l’esprit les situations de souffrance extrême où la poésie a sauvé les gens, où elle a été ce qui leur a permis de survivre, de traverser l’indicible, de préserver leur dignité, leur humanité. La poésie est infiniment précieuse. Elle a été le pain que des êtres humains ont continué de trouver quand ils n’avaient plus rien, avec ces mots puisés dans leur mémoire qui les ont portés d’un jour à l’autre vers une liberté retrouvée. Elle a été le pain de leurs révoltes, celles qui guident vers des aubes nouvelles... La poésie est fondamentale et j’irai jusqu’à dire qu’il n’y a pas d’avenir pour l’humain sans la poésie. 6/ La part de la prosodie dans l’élaboration du poème. J’ai évoqué plus haut le rôle des sonorités et du rythme, qui me semblent être d’une importance capitale, et cela, quelle que soit la forme d’écriture envisagée, prose ou poésie. Si l’on écrit, cela vient habituellement d’une relation particulière qu’on entretient avec les mots depuis l’enfance. Les mots, nous les avons d’abord entendus à travers le chant, puis porteurs de la magie du conte. Il y a dans cette transmission qui remonte très loin aux débuts de notre vie une dimension orale, charnelle qui s’entremêle avec ce que sont les mots, tels que nous pouvons les lire sur une page. La première expérience que nous en avons eue et qui se perd aux débuts de notre mémoire est étroitement associée à la musique, à l’émotion d’une voix qui accentue, à la présence d’un corps qui vibre selon un rythme. Un peu plus tard, nous associons les mots à la capacité qu’ils peuvent avoir de traverser les apparences du quotidien, de le dépasser, à la recherche de ce qui vient résonner dans notre être profond. Et lorsqu’on écrit un poème, je crois qu’on est traversé par tous ces échos. Peu importe si on se situe ensuite dans le prolongement de ces premières expériences de la langue, ou au contraire dans une recherche qui voudrait s’en démarquer, la respiration et le souffle de ces chants, de ces mythes que nous avons entendus nous a marqués, consciemment et inconsciemment. 7/ La place de la traduction dans la démarche poétique. Entendre des poèmes dans des langues inconnues m’a souvent touchée profondément, comme si d’une certaine façon, le poétique parvenait à frayer son chemin par-delà toute traduction. On dira qu’il s’agit peut-être d’une sensibilité aux sonorités et aux rythmes du poème, envisagé comme relevant de la musique. On pourrait ajouter que la présence du poète ou d’un comédien lisant le poème est aussi porteuse de sens non verbaux qui contribuent à un certain degré de « passage » du texte. Je crois aussi que la possibilité pour le poème de franchir l’opacité d’une langue pour toucher celui qui l’écoute témoigne d’une spécificité de la poésie. Un peu comme si alors on parvenait à entendre un noyau poétique qui transcende les langues. On a souvent dit qu’il était impossible de traduire la poésie. Jakobson a parlé de la nécessité d’une « transposition créatrice » pour tenter d’y parvenir. Je crois qu’il y a une parenté entre la position du poète qui se met à l’écoute du silence des choses pour écrire et celle du traducteur de poésie confronté à la part irréductible du poème, celle-là même qui nécessite qu’il transpose et crée pour tenter de réduire cette part, celle-là même qui parfois nous atteint au-delà de la langue.
Fiche technique :
Editeur
APIC EDITIONS
Contribeurs
Oumhani
EAN
9789931468486
Date de parution
3-/-0/2018
Nombre de pages
80 pages
Poids
0.900 Kg
Hauteur
19 cm
Largeur
14 cm